[RP] Retour à la maison de la fille de son père.

Le chemin, à pied, avait été long. Mais la journée entière qu’elle marcha ne suffit pas pour rassembler toutes les pensées qui l’assaillaient.
Elle ne cessait s’imaginer, puis d’appréhender les retrouvailles avec sa famille, ses soeur, son père, avec son ancienne vie …
Est ce que les Sanada la reconnaîtraient ? Après sept années d'apprentissage au dojo, elle s’était formé un corps, son visage avait changé, mûrit, elle devenait petit à petit une femme.
Et son père ? La dernière fois qu’elle l’avait vu, c’était à l’enterrement de sa mère, il y a voilà cinq ans.
De même pour ses sœurs, ou devrait elle dire sa sœur, puisqu’Aliane avait fugué … Pourquoi cela ? On lui avait dit à l’époque, qu’elle était trop jeune pour comprendre. Que sa sœur était partie et qu’elle n’était plus une Kari. Mais alors, quand la reverrait elle ?
Ses soeurs, elle voulait tant les retrouver, mais une fois de plus, elle n’avait aucune idée de quel serait leur comportement à son égard.

C’est donc le regard porté vers les pâles étoiles qui apparaissaient unes à unes que Lena, troublée, tournait et retournait ces questions angoissées dans les méandres de son esprit.

La paix de l’esprit apporte la sagesse de l’âme. De plus, un bushi doit être serein avant une bataille, ou elle est perdu d’avance.

Les mots de son maître résonnèrent dans sa tête. Arrêtant sa marche, la brunette ferma les yeux, prit une profonde inspiration, et le plus calmement qu'elle put, expira en faisant le vide dans sa tête. Chose qui n’est pas aisée, pour une jeune fille aussi impulsive. Mais les nombreuses méditations et contemplations au dojo lui avaient appris à contrôler sa nature dynamique, et elle rassemblait à présent les qualités pour devenir plus tard une bushi. Restait à présent à travailler ces qualités, les forger, et pour ce faire elle espérait que son père lui trouve un bon maître pour lui enseigner ces valeurs. C’est songeant à ses prochaines séances d’entraînement intensif, où elle voulais se surpasser, que Lena rouvrit les yeux. Un frisson d’excitation lui parcourut l’échine et elle se remit en marche, ayant hâte d’arriver au Domaine. Elle avait retrouvé son assurance habituelle.
Le jour tirait à sa fin, entre rose pâle et obscurité naissante, et Lena hâta le pas. À sa gauche, on pouvait apercevoir les fumées de Kurume, et bientôt le Domaine apparut au détour d’une colline. La jeune apprentie
marcha à une allure endurante encore quelques minutes, et c’est à peine essoufflée qu’elle finit de gravir la montagne. Levant les yeux, elle observa l’endroit. En contre bas, elle voyait des maisons paysannes protégées par le clan. Elle avait jadis joué et chahuté avec les enfants qui vivaient dans ces maison, mais ce temps était loin … Elle détourna les yeux, et apparut devant elle le auvent au toit large de l’entrée du Domaine Sanada. Lena sourit : elle reconnaissait le lieu.

C’est une jeune fille de 14 ans, brune, les cheveux remontés en chignon, vêtue d’un kimono presque propre et un katana au côté, le bagage à la main et le regarde sûr qui annonça :

Konban wa. Je suis Sanada Kari no Lena, fille de Sanada Kari no Hasekura. J’ai terminé ma formation au dojo près d’Imari et je rentre chez moi.

[pnj garde]


Il avait consacré les cinq dernières minutes à contempler le coucher du soleil; spectacle dont il ne se lassait jamais. L'astre du jour sombrait toujours plus pour laisser place aux ténèbres de la nuit et, dans un dernier sursaut d'orgueil, teintait la vallée d'oranges et de pourpres.
Mais si le kami flamboyant s'apprêtait à prendre un repos bien mérité après une journée passée dans le ciel des hommes, il n'en allait pas de même pour lui. Le tour de garde serait long... mais la présence d'un camarade à ses côtés réussissait toujours à rendre les heures plus courtes.

Même en étant spectateur d'un tel panorama, il n'en oubliait pas pour autant sa fonction. Cela faisait maintenant quelques temps qu'il avait aperçu la petite silhouette qui grandissait toujours plus à mesure qu'elle se rapprochait des portes.
Alors qu'il pouvait à présent distinguer nettement les traits de la nouvelles arrivante, il bomba le torse et resserra sa prise sur sa yari; principalement pour faire bonne figure. Car la demoiselle qui bientôt lui ferait face ne semblait pas bien dangereuse, il ne pensait pas devoir alerter qui que ce soit. Bien sur, il avait vu le katana qui pendait sur le flanc et se balançait au rythme de la marche, mais les traits fins, les étoffes de bonnes qualités et le port fier n'y trompaient pas: il avait à faire avec une noble.

Konban wa. Je suis Sanada Kari no Lena, fille de Sanada Kari no
Hasekura. J’ai terminé ma formation au dojo près d’Imari et je rentre
chez moi.

Il échangea rapidement un regard avec son compagnon, qui acquiesça instantanément. Sans doute l'avait-il reconnu... Pour sa part, les seuls souvenirs qui lui restaient de la personne portant ce nom n'étaient que trop lointains, trop flous.
Il prévint le second garde qu'il prenait la situation en main en hochant de la tête et lui indiqua les bâtiments du menton. Sans perdre un instant, son camarade quitta son poste pour aller chercher la relève et prévenir la personne concernée.

Dame Kari, dit-il d'un ton respectueux. Votre père le seigneur Kari est actuellement en ces murs et doit être occupé dans son salon de travail. Il inclina légèrement le buste, faisant teinté par la même occasion ses épaulettes sur sa cuirasse. Si vous voulez bien me suivre...

Après que le garde ait ouvert la porte, tous deux pénétrèrent dans une petite cour ou l'atmosphère devenait sombre. Le soleil s'était couché quelques instant et le ciel, taché de rouge, semblait avoir abrité un carnage sans pareil. La nuit reprenait calmement ses droits.
Le garde poussa un panneau de bois, et ils débouchèrent dans un long couloir silencieux, que Lena reconnut de suite. Presque tout répondait à son souvenir.
Là, une large tenture dans les tons bruns représentait trois bushi croisant le fer sous le regard malicieux d'un kami. Là, une autre montrait un homme en kimono coloré, portant un chapeau akatsuki*, qui marchait contre le vent, celui ci représenté par un esprit virevoletant. Là encore, une troisième expliquait le déroulement du chanoyu, la cérémonie du thé.
Lena avait rêvé devant ces peintures, elle s'était caché derrière -on souvent l'avait disputé pour l'avoir fait-, elle avait même souhaité, devant cette beauté, devenir peintre. Loin était ce temps, encore une fois, mais les souvenirs et pensées d'enfance marquent à jamais.

Lena remarqua que, dans sa rêverie, elle s'était arrêtée de marcher, et que le garde l'attendait un peu plus loin dans le corridor. Sans doute n'avait il pas que cela à faire, mais il ne pouvait pas se permettre de le lui faire remarquer. Elle se hâta de le rejoindre. Lorsqu'elle fut à ses côtés, le garde fit coulisser un panneau de papier.

"Voici le salon de travail, Demoiselle Kari. Votre père vous attend."

Le garde s'inclina devant le père puis la fille, puis se retira discretement.
La pièce, vaste, éclairée d'une lumière tamisée, était meublée avec simplicité mais goût. Tous les murs étaient remplacés par des panneaux de bois ou de papier, et parfois décorés d'une tenture, peinture, ou emblème de soie. Au centre se trouvait une table basse où un homme aux cheveux noirs et à la carrure relativement imposante tantôt traçait des ideogrames, tantôt lisait des documents ou des lettres.
Son père.
Seule avec lui, la brune s'inclina avec respect, et resta dans cette position lorsqu'elle prononça ces mots.

Konban wa, otousama.** C'est moi, votre fille Lena, je suis de retour.


*Chapeau japonais de forme conique, avec sur les côtés de longues bandes de tissu blanc. Je crois bien.
** Bonsoir, père (le "sama" en bout de mot étant une forme de respect)[b]

Annonces, missives, rapports, lettres, directives, ... tant de choses qui s'accumulaient encore et toujours sur sa table basse. Mais son trait n'était plus aussi sûr: sa main tremblante réalisait des caractères ici trop gros, là trop brouillons.
Cela faisait quelques minutes que l'anxiété l'avait gagné. L'un des gardes portant la livrée du clan l'avait prévenu: sa jeune fille était de retour! Dans une telle situation, ses efforts pour garder son calme et sa retenue lui semblaient bien difficiles.

Il sursauta lorsque les bruits de pas se firent entendre depuis le couloir et ruina un travail dont il ne se préoccupait même pas. Plus que quelques instants... Le panneau coulissa deux fois.

Konban wa, otousama. C'est moi, votre fille Lena, je suis de retour.

Désireux de garder la contenance qu'il se devait d'afficher, il relit rapidement sa missive -qu'il aurait à recommencer- et marqua la pause. Après quoi, il en fit un pli qu'il mit au sommet d'une pile de documents, véritable tour de papier et de bois à l'équilibre plus que précaire.

Le moment était venu...

Il déposa le pinceau sur son nécessaire à écriture et reporta son regard sur la nouvelle arrivante. Son visage s'éclaira alors. Non pas du sourire poli dont il avait l'habitude... mais d'un sourire chaleureux et franc.

Koban wa, ma fille. Que les kamis soient loués, car ils t'ont permis de venir jusqu'à moi. La route fut-elle sans encombres?

Mais redresses-toi, lui intima-t-il d'un geste de la main, que je puisse admirer ton doux visage.

La jeune Kari n'y tenait plus. Le temps que mit son père pour relire sa missive, la plier, la ranger, puis déposer son pinceau encore noir d'encre dans son écritoire traduisait un évident effort pour garder son calme. Mais aussi une attente interminable pour Lena ... Lorsqu'il finit par prendre la parole, semblant serein.

« Koban wa, ma fille. Que les kamis soient loués, car ils t'ont permis de venir jusqu'à moi. La route fut-elle sans encombres ? Mais redresses-toi, que je puisse admirer ton doux visage. »

Elle se redressa alors, essayant de cacher sa précipitation, et sourit à son père. Il n'avait pas changé, ou à peine. Ses traits semblaient peut être plus marqués, par la vieillesse, et encore le mot était fort … par son âge mûr, dirons nous. Cela étant, il était comme dans son souvenir.
Et le sourire qu’il lui offrit lui fit sentir à quel point elle était heureuse de retrouver son père et son foyer.

Le voyage s’est très bien passé, père ! Hormis quelques voleurs à la sauvette quand je traversais les villes, je n’ai pas eu de soucis. J'ai juste croisé des paysans qui se hâtaient de rentrer chez eux avant la tombée du jour.

Elle lui sourit, et un mystérieux poids quitta ses épaules.

Oh, quel bonheur d’être rentrée …

Et avec ce poids qui partait, arriva la fatigue d’une journée entière de marche. Lena étouffa un bâillement.

Une vague de mélancolie le gagna peu à peu. S'il avait laissé une jeune fille quitter le domaine familial pour explorer la voie des lames, il retrouvait à présent une dame en devenir dont les traits lui rappelaient douloureusement ceux de sa défunte épouse.
Mais l'ombre du passé et des remords ne s'attarda pas dans ses yeux, et il fut heureux de constater que sa descendante se portait à merveille.

Le voyage s’est très bien passé, père ! Hormis quelques voleurs à
la sauvette quand je traversais les villes, je n’ai pas eu de soucis.
J'ai juste croisé des paysans qui se hâtaient de rentrer chez eux avant
la tombée du jour.

Il ouvrit la bouche mais se ravisa, empêchant ses pensées de s'exprimer. Son premier réflexe fut de s'inquiéter de ces "voleurs à la sauvette": qu'avaient-ils pu faire à son trésor? Mais l'attention excessive d'un père trop protecteur aurait certainement vexé la jeune disciple du bushido. Si cette dernière ne pensait pas utile d'en parler à son géniteur, c'est qu'il devait en être ainsi.

Il secoua gentiment la tête face à ce conflit intérieur et avisa de la fatigue de son enfant. Son visage s'illumina à nouveau d'un franc sourire.

Mais je vois que la journée fut bien remplie, dit-il d'un ton chaleureux. Si tu désires prendre une collation, je ferai appeler un intendant. Ce soir ma fille, tu peux choisir l'une des chambres de l'aile des invités pour passer la nuit. Demain, nous aménagerons tes quartiers et parlerons de ton devenir.

Il marqua la pause quelques instants, mais ne put s'empêcher de lâcher ces quelques mots précipitamment.

Si tu as besoin d'une dame de compagnie, dis-le moi.

"Mais je vois que la journée fut bien remplie. Si tu désires prendre une collation, je ferai appeler un intendant. Ce soir ma fille, tu peux choisir l'une des chambres de l'aile des invités pour passer la nuit. Demain, nous aménagerons tes quartiers et parlerons de ton devenir."

"Ma fille." Depuis combien de temps ne l'avait on pas appelé ainsi ? Lena sourit. À présent elle aurait tout le loisir de dire "mon père" et de s'entendre dire "ma fille".
"Tes quartiers." Sa chambre ? Oh elle s'en souvenait. Mais elle n'aurait sans doute plus la même, cette petite pièce où tous les panneaux de papiers étaient recouverts de peintures représentant tous les oiseaux du Japon. Elle se demanda ce qu'elle était devenue, depuis. Et tous les objets d'enfances qu'elle y avait laissé. Il n'y en avait qu'un seul qu'elle avait réellement envie de retrouver, c'était un petit bokken* en bois que lui avait offert sa mère comme récompense, un soir, alors qu'elle connaissait enfin ses onze haikus par coeur. Cet objet elle l'avait laissé à contre coeur chez elle, puisqu'elle ne devait emporter que le stricte minimum au dojo, mais à présent elle ésperait le retrouver et avec lui de doux souvenirs de son enfance ... et de sa mère ...
Mais sortant de sa rêverie, Lena répondit à son père.

En effet, père ... J'ai faim, mais ne retournez pas la maison pour moi, il est bien tard, je me contenterais d'un bol de riz.

Il était vrai que le riz et les galettes aux haricot de ce matin étaient bien loin ...

"Si tu as besoin d'une dame de compagnie, dis-le moi."

Oh, mais je pense que la compagnie de mes soeurs suffira ... Euh, de ma soeur. Enfin ...

Lena rougit. Elle n'avait jamais su pourquoi sa soeur avait soudainement disparu, et pour cela elle en voulait aveuglement à son père. Mais, elle le sentait, c'était un sujet douloureux. Et elle ne voulait pas le ramener sur la table alors qu'ils venaient à peine de se retrouver.



*Sabre en bois, ici adapté à un enfant.

Oh, mais je pense que la compagnie de mes soeurs suffira ... Euh, de ma soeur. Enfin ...

Son front se plissa et ses sourcils obliquèrent légèrement. Voilà que le fâcheux sujet était déjà abordé. Mais l'heure était à la joie des retrouvailles! Il détendit ses muscles soudainement crispés et tenta de faire disparaître la tension en arborant des traits plus calmes.

Akako, dit-il dans une tentative malhabile pour éluder le problème, nous rejoindra bientôt. Je suis certain que ta sœur sera folle de joie en te revoyant dans ces lieux.

Le pâle sourire qu'il s'efforça d'afficher sonnait faux. Il en avait conscience et savait pertinemment que sa fille, qui avait oubliée de naître sotte, ne serait pas dupée. Il s'empressa donc de prendre la première échappatoire pour s'extirper de la délicate situation.

Hatoshi! Héla-t-il en montant le ton son intendant. Ce dernier, occupé de régler les envois des diverses missives, devait certainement se trouver dans le cabinet jouxtant le salon. Trouves-nous de quoi manger. Rien de trop gras, il se fait tard.

Hasekura avait vu juste, car il entendit à travers le panneau à sa droite le plancher craquer sous l'effort de l'homme qui se relevait; suivi des bruits toujours plus ténus des pas qui s'éloignaient.
Satisfait, il revint à sa fille. Les questions se bousculaient dans son esprit et il hésita plusieurs secondes. Finalement, le commencement serait... un bon début.

Le dojô d'Imari mérite-t-il toujours sa réputation?

Lorsqu'elle vit un pli soucieux sur le front de son père, Lena s'en voulut terriblement. Encore plus lorsqu'il afficha ce faux sourire ... Mais quelle délicatesse, alors que père et fille avaient la joie de se retrouver après une longue séparation, d'amener ce sujet tabou avec elle dès les premiers mots !

"Akako nous rejoindra bientôt. Je suis certain que ta sœur sera folle de joie en te revoyant dans ces lieux."

Entendre le nom de sa soeur fut tout de même un soulagement, et de savoir qu'elles allaient bientôt se retrouver l'emplissait de joie. La jeune Kari, pestant intérieurement contre elle même, sourit timidement à son père.

J’ai tant hâte de la revoir ... Comment va-t-elle ?

Mais son père, en proie à une confrontation silencieuse, finit par lui poser une question au même moment.

"Le dojô d'Imari mérite-t-il toujours sa réputation ?"

Cette fois, le sourire de l’apprentie bushi se fit plus assuré.

Toujours, mon père. Et maître Hatsu, le directeur du dojo, est un professeur exceptionnel … Je lui doit énormément de ce que je sais, il m’a guidé et m’a aidé à vaincre mes peurs et mes doutes, à aller de l’avant. Son savoir est immense, et j’ai beaucoup progressé avec lui. Autant dans la voie des bushi que dans la voie de mon âme.

Comme toujours, lorsqu'elle parlait de son apprentissage, Lena semblait plus sûre, plus mûre.

La flamme qui brillait dans les prunelles de sa fille au court de ce récit passionné lui plu grandement. Sur ces deux décennies passées à arpenter les champs de batailles de l'île de Kyushuu, il avait pu voir cette même étincelle à de nombreuses reprises. De toutes ses personnes, la plupart devinrent de grands guerriers et firent connaître leurs exploits de tous. Certains connurent une mort honorable; quoique souvent trop précoce au goût du vétéran...

Il contempla à nouveau sa fille, sous un regard devenu évasif. A dire vrai, il pensait déjà aux semaines à venir. La route était encore longue pour espérer un jour mériter le titre de To-Yushi.

Te voilà revenue avec des paroles que j'aime à entendre, dit-il d'un ton chaleureux.Si ta pensée et tes actes suivent ton verbe, je suis certain que tu feras la fierté de ton père.

Par dessus tout, il aimait taquiner ses enfants. D'un oeuil pétillant de malice, il étudia la réaction de la jeune fille suite à cette remarque... même s'il jugeait cette dernière amplement méritée.
Tout "jeu" à sa limite. Et il ne tarda pas de mettre un terme au silence.

Mais Hatsu-senseï t'a-t-il appris à être versatile? T'a-t-il appris à mettre autant d'ardeur dans le maniement du sabre que dans les autres formes de combat? T'a-t-il initié à la décoche du puissant arc, au vrombissement de l'inflexible lance, à la puissance du destrier lancé au galop?

Il n'en doutait pas... ces propres yeux devaient briller de la même ardeur.

La jeune Kari ne put s'empêcher de ressentir une pointe de fierté à la réplique de son père. Mais, elle remarqua aussi le semblant de malice dans son regard. Elle sourit légerement, remarquant qu'il guettait sa réaction, et, afin de voir la sienne en retour, elle appliqua une des règles les plus fondamentales de son apprentissage.
Ne montre jamais tes émotions ou tes pensées devant un ennemi : le faire, c'est la meilleur façon de te perdre. Forge toi un visage impavide, sculpte le jusqu'à le rendre plus lisse et glissant qu'une pierre de ruisseau : si ton adversaire est naïf, il sera dérouté. S'il ne l'est pas, il ne pourra rien tirer de toi.
Ce qu'elle fit : son visage se fit impassible, neutre, impossible à étudier. Elle garda cette expression quelques secondes, comme pour rendre la plaisanterie à son père. Puis finit pas sourire : elle ne voulait pas non plus l'effrayer, s'il interpretais mal son trait d'humour ... plus que subtil.

Mes pensées et mes actes suivront la voie que je me suis dictée. Cette voie est une seule et même ligne.

"Mais Hatsu-senseï t'a-t-il appris à être versatile ? T'a-t-il appris à mettre autant d'ardeur dans le maniement du sabre que dans les autres formes de combat ? T'a-t-il initié à la décoche du puissant arc, au vrombissement de l'inflexible lance, à la puissance du destrier lancé au galop ?"

Versatile ? Oui, un samouraï ne va pas que dans une seule technique, il explore toutes les possibilités, afin d'être plus riche de connaissances. Il m'a appris tout cela, cependant j'apprendrais toujours plus. Je me souviens, mon père, que vous enseignez "à la décoche du puissant arc". Seriez vous d'accord pour pérpetrer mes connaissances ?

La réaction de sa fille suite au "petit jeu" lui décocha un nouveau sourire de satisfaction. Hasekura partait du principe suivant: si le maniement du sabre et la poursuite du code sont l'essence même du bushi, être capable de prendre l'ascendant lors d'une tractation lui avait toujours paru comme un plus non négligeable.

[...] Seriez vous d'accord pour pérpetrer mes connaissances ?

Hé bien... dit-il avant de s'interrompre, la mine soudain concentrée et l'oreille dressée.

Mais la tension le quitta aussi vite qu'elle était venue, car le bruit qui l'avait coupé dans son élan était aisément reconnaissable: un pas lourd, le tintement de la porcelaine. Son serviteur semblait être de retour.
Il coula un regard vers la jeune Kari et pris un sourire espiègle. Il laisserait encore traîné sa réponse quelques instants... Après tout, n'avait-elle pas faim?

Entre Hatoshi, dit-il un ton plus haut.

L'intéressé entra donc, les bras chargé d'un grand plateau couvert de porcelaines finement décorées. Le patriarche fit lui-même un peu de place sur la table en déplaçant négligemment les piles de documents et fit signe à l'aide de camp de les servir.

Hé bien... reprit-il à l'intention de Lena, si tel est ton désir, je n'y vois rien à redire. Mais n'attends pas de traitement de faveur de ma part...

L'inestimable Hatoshi œuvra avec son habituelle dextérité. En un instant, chacun reçu un bol empli d'une généreuse portion de riz. Entre les deux Kari; plusieurs plats bien garnis avaient été posés: l'un lui sembla contenir du porc sauté, un deuxième des lanières de poulet et le dernier quelques crudités. Déposée à leurs côtés, trônait le grand récipient contenant le reste du riz ainsi que le thé et du sake.
Tout entier à la contemplation de son futur repas, le maître des lieux ne remarqua même pas la sortie de son aide de camp.

Hasekura s'arma de ses baguettes et commença à se saisir de quelques morceaux qui lui faisaient envie, enjoignant sa fille à faire de même.